La plateformisation du travail est trop souvent analysée à travers le prisme de l’ubérisation : fragmentation des tâches, précarisation des statuts, pilotage algorithmique. Ce modèle, popularisé par les plateformes de VTC ou de livraison, a façonné les imaginaires et les politiques publiques. Pourtant, comme le montre l’étude de Yannick Fondeur « Quand la plateformisation du travail déroge aux schémas usuels : le cas des prestataires indépendants de services numériques » (Travail et Emploi, DARES, 2025), il existe une autre forme de plateformisation — contractuelle, encadrée, historiquement enracinée — qui s’est développée dans les services numériques aux entreprises. Et c’est cette trajectoire que le secteur des services à la personne peut aujourd’hui emprunter.

Une plateformisation contractuelle, pas algorithmique

Dans les services numériques, les plateformes comme Malt ou LeHibou ne prescrivent ni ne standardisent le travail. Elles facilitent la mise en relation, sécurisent les contrats, mais laissent aux indépendants et aux clients le soin de définir les prestations. Yannick Fondeur qualifie ce modèle de « plateformisation contractuelle et administrative », distinct du « travail de plateforme » propre aux acteurs comme Upwork, où l’activité est encadrée par des dispositifs de contrôle automatisés (captures d’écran, indicateurs d’activité, etc.).

Cette distinction est essentielle. Elle montre que la plateformisation ne rime pas nécessairement avec perte d’autonomie ou précarisation. Dans les services à la personne, où les plateformes émergentes s’appuient sur des structures agréées et des professionnels qualifiés, on observe une logique similaire : les outils numériques servent à fluidifier l’intermédiation, non à piloter le travail. Ce n’est pas la technologie qui précarise mais le business model de certaines plateformes. Business model et technologie ont été trop souvent mélangés et cela à largement fausser le débat de la plateformisation de certains secteurs dont celui des services à la personne.

Des prestations longues, contextualisées et relationnelles

L’auteur de l’étude souligne que les missions dans les services numériques sont souvent longues, réalisées en présentiel, et impliquent une proximité socioculturelle entre le freelance et le client. Ce modèle s’oppose à celui des micro-tâches fragmentées des plateformes de crowdworking ou de livraison.

Les services à la personne partagent cette caractéristique : les interventions (aide à domicile, garde d’enfants, accompagnement) sont récurrentes, durables, et nécessitent une adaptation fine au contexte du bénéficiaire. Comme dans les services numériques, la relation de travail repose sur la confiance, la continuité, et l’ajustement progressif — autant de dimensions incompatibles avec une gestion 100% algorithmique du travail. L’humain et la plateforme collaborent pour apporter le meilleur des 2 mondes.

Une professionnalisation antérieure à la digitalisation

L’étude rappelle que le recours à des indépendants dans les services numériques précède les plateformes digitales. Le marché était déjà structuré par des intermédiaires (SSII/ESN), avec des logiques de sous-traitance en cascade. Les plateformes n’ont pas disrupté ce marché, mais l’ont recomposé, en reprenant les pratiques existantes tout en les rendant plus transparentes.

Le secteur des services à la personne suit une trajectoire comparable. Depuis des décennies, il repose sur des entreprises agréées, des coopératives, et des associations. La digitalisation ne fait que prolonger cette structuration, en apportant des outils de gestion, sans bouleverser les rapports de travail. Il ne s’agit pas d’une rupture, mais d’une recomposition. Une marche nécessaire vers une interaction et une satisfaction plus rapide et plus fluides des besoins clients.

Une « disruption » relative et paradoxale

Yannick Fondeur montre que les plateformes de freelancing revendiquent une « disruption » des ESN, mais qu’elles reproduisent souvent leurs logiques : intermédiation, commissions, segmentation du marché. Elles mettent en avant la transparence et la sécurisation juridique comme arguments commerciaux, mais leur modèle économique repose sur des marges similaires à celles des intermédiaires traditionnels.

Dans les services à la personne, on observe une dynamique comparable. Les plateformes ne cherchent pas à remplacer les structures existantes, mais à collaborer et parfois à les outiller. Elles digitalisent l’intermédiation sans fragmenter le travail, et revendiquent une meilleure lisibilité des statuts et des flux financiers. Là encore, la logique est celle d’une réintermédiation, non d’une désintermédiation.

Conclusion

Ainsi cette étude et son auteur nous invitent à sortir du prisme réducteur de l’ubérisation. Elle montre que la plateformisation peut s’inscrire dans une logique contractuelle, durable et professionnalisée — loin du modèle des micro-tâches précaires. Le secteur des services à la personne, par la nature de ses prestations, son encadrement réglementaire, et son tissu d’acteurs historiques, semble suivre cette voie.

Il est temps de reconnaître que toutes les plateformes ne se valent pas. Et que certaines peuvent contribuer à renforcer la qualité du travail, plutôt qu’à l’éroder.

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